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Dans la langue française, certaines règles et particularités peuvent parfois sembler complexes ou déroutantes pour les apprenants et même pour les locuteurs natifs.
L’une de ces particularités concerne l’utilisation du ‘m’ au lieu du ‘n’ devant les lettres ‘p’ et ‘b’.
Nous allons vous dévoiler les raisons pour lesquelles cette substitution a lieu, en examinant les origines historiques, les aspects phonétiques et les exceptions à cette règle.
En comprenant les raisons sous-jacentes à cette particularité, nous pourrons mieux appréhender la richesse et la complexité de la langue française et ainsi améliorer notre maîtrise de cette langue fascinante.
Une question d’assimilation et de phonétique
Pour comprendre d’où vient cette substitution, il est important de se pencher sur les aspects phonétiques de la langue française. La principale raison pour laquelle nous remplaçons le ‘n’ par un ‘m’ devant un ‘p’ ou un ‘b’ est liée à la manière dont ces consonnes sont prononcées.
- Le point d’articulation : Le ‘n’ est une consonne dite « alvéolaire », ce qui signifie qu’elle est prononcée en plaçant la pointe de la langue contre la crête alvéolaire, située juste derrière les dents supérieures. Le ‘m’, quant à lui, est une consonne dite « bilabiale », prononcée en faisant vibrer les lèvres. Or, les consonnes ‘p’ et ‘b’ sont des consonnes bilabiales. Ainsi, en remplaçant le ‘n’ par un ‘m’ devant un ‘p’ ou un ‘b’, on facilite la prononciation en évitant de devoir changer brusquement de point d’articulation.
- La voix : Les consonnes peuvent être classées en deux catégories : les consonnes voisées et les consonnes non voisées. Une consonne voisée est prononcée en faisant vibrer les cordes vocales, tandis qu’une consonne non voisée est prononcée sans vibration des cordes vocales. Le ‘n’ est une consonne voisée, tout comme le ‘m’. Les consonnes ‘p’ et ‘b’, quant à elles, sont respectivement non voisée et voisée. Ainsi, en remplaçant le ‘n’ par un ‘m’ devant un ‘p’ ou un ‘b’, on maintient une certaine cohérence dans la voix, ce qui facilite la prononciation.
Des origines historiques : l’influence du latin et de la langue d’oïl
La langue française est issue du latin vulgaire, la langue parlée par les populations de l’Empire romain. L’évolution du latin vulgaire en français a été marquée par de nombreuses transformations phonétiques et morphologiques, qui ont conduit à la formation de la langue telle que nous la connaissons aujourd’hui.
- Le latin : En latin, on retrouve déjà cette tendance à remplacer le ‘n’ par un ‘m’ devant les consonnes bilabiales ‘p’ et ‘b’. Par exemple, le mot latin « inprimis » (au début) est devenu « imprimis » en latin tardif. Cette assimilation s’explique par les mêmes raisons phonétiques évoquées précédemment : la proximité du point d’articulation et la voix.
- La langue d’oïl : La langue d’oïl, ancêtre du français moderne, a hérité de cette assimilation du latin. On retrouve ainsi cette règle dans des textes médiévaux en langue d’oïl, tels que la Chanson de Roland, où l’on peut lire des vers comme « Ceo dit li reis : ‘Sire, merci mult hum’ (Ce dit le roi : ‘Seigneur, merci beaucoup’). Au fil des siècles, cette règle s’est maintenue et a été intégrée au français moderne.
Les exceptions à la règle : quand le ‘n’ persiste devant un ‘p’ ou un ‘b’
Comme souvent en français, il existe des exceptions à la règle du remplacement du ‘n’ par un ‘m’ devant un ‘p’ ou un ‘b’. Ces exceptions sont généralement liées à des phénomènes étymologiques ou morphologiques qui ont préservé la présence du ‘n’.
- Les mots d’origine étrangère : Certains mots français d’origine étrangère n’ont pas subi cette assimilation. C’est le cas, par exemple, du mot « nabab », emprunté à l’hindi, ou du mot « épinard », emprunté à l’arabe. Dans ces mots, le ‘n’ est conservé devant le ‘b’ et le ‘p’.
- Les dérivations morphologiques : Dans certains cas, la présence du ‘n’ devant un ‘p’ ou un ‘b’ est due à une dérivation morphologique. Par exemple, le mot « antipathie » est formé à partir du préfixe « anti- » et du radical « pathie ». Dans ce cas, le ‘n’ est conservé car il fait partie intégrante du préfixe, et il n’y a pas de lien phonétique direct entre le ‘n’ et le ‘p’.
- Les mots composés : De la même manière, dans les mots composés, le ‘n’ peut être conservé devant un ‘p’ ou un ‘b’ si les deux éléments du mot composé sont clairement identifiables. Par exemple, le mot « fainéant » est composé de « fain » (ancienne forme de « faim ») et « néant ». Ici, le ‘n’ est conservé car il fait partie du second élément du mot composé, et il n’y a pas de lien phonétique direct entre le ‘n’ et le ‘b’.
- Les formes conjuguées de certains verbes : Dans la conjugaison de certains verbes, le ‘n’ peut être conservé devant un ‘p’ ou un ‘b’. Par exemple, à l’imparfait du subjonctif du verbe « savoir », on trouve la forme « qu’il sût ». Dans ce cas, le ‘n’ a été conservé en raison des contraintes de la conjugaison, et non de la phonétique.
Le rôle des institutions et des grammairiens dans la fixation de la règle
Si la règle du remplacement du ‘n’ par un ‘m’ devant un ‘p’ ou un ‘b’ est aujourd’hui bien établie en français, il est important de souligner le rôle des institutions et des grammairiens dans la fixation et la diffusion de cette règle.
- L’Académie française : Fondée en 1635, l’Académie française a pour mission de travailler à la fixation et à la perfection de la langue française. À travers la rédaction de dictionnaires et de grammaires, l’Académie a contribué à normaliser et à prescrire l’usage du ‘m’ devant un ‘p’ ou un ‘b’. Ainsi, dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie française (1694), on peut lire la définition suivante : « IM devant P, se met pour IN, comme imparfait, imparfaitement, impatiemment, etc. »
- Les grammairiens : Au fil des siècles, de nombreux grammairiens ont étudié et commenté la langue française, en proposant des règles et des analyses pour expliquer et rationaliser son fonctionnement. Parmi eux, des auteurs comme Claude Favre de Vaugelas, Nicolas Beauzée ou Dominique Bonhours ont contribué à la formalisation et à la diffusion de la règle du ‘m’ devant un ‘p’ ou un ‘b’. Leurs travaux ont été repris et enrichis par des générations de grammairiens, qui ont contribué à faire de cette règle un pilier de la grammaire française.
Le remplacement du ‘n’ par un ‘m’ devant un ‘p’ ou un ‘b’ en français trouve son origine dans des considérations phonétiques, liées au point d’articulation et à la voix des consonnes concernées. Cette particularité, héritée du latin et de la langue d’oïl, a été maintenue et renforcée au fil des siècles grâce au travail des institutions et des grammairiens. Bien que quelques exceptions subsistent, cette règle est aujourd’hui solidement ancrée dans la langue française et participe à sa richesse et à sa cohérence phonétique.
En étudiant cette règle et les raisons historiques et linguistiques qui en sont à l’origine, nous pouvons mieux comprendre et apprécier la complexité et la beauté de la langue française. Et en maîtrisant cette règle, nous serons mieux à même de nous exprimer avec clarté et précision, en évitant les pièges que peut parfois nous tendre cette langue si riche et si nuancée.